Chaque mois, nous publions sur cette page vos commentaires et critiques d’un roman, d’une nouvelle, d’un documentaire ou d’une bande dessinée, que vous avez apprécié !
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Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : BROW
Avec "Assemblage", Natasha Brown désosse le racisme ordinaire en Angleterre
Tout. Elle a absolument tout. Un poste dans la finance. Une promotion. De l’argent. Un bel appartement. « Je suis tout ce qu’on m’a dit de devenir », résume la narratrice. Pourtant, jamais l’appréhension ne la quitte, la peur de tout perdre : « Un rien pourrait s’avérer la ruine de tout. » Et elle-même pourrait s’effondrer comme un château de cartes, se déliter, se défaire en un claquement de doigts, puisqu’elle vit avec l’intime sensation de n’être qu’un assemblage fragile, constitué de projections et d’injonctions contradictoires : « Sois la meilleure. […] Mais aussi, sois invisible, imperceptible. »
Dans son entreprise, elle incarne la « diversité » ; dans les regards concupiscents, l’exotisme. Pour les conservateurs qui s’étonnent qu’elle « parle si bien », elle prouve que la Grande-Bretagne, qui permet de telles réussites, est un grand pays. Parfois, elle est juste une « n**esse » qu’on insulte dans la rue, ou une femme qu’un steward n’imagine pas voyager en business.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : DEVI
Coup de coeur de Viviane Aebi, enseignante de français au collège Ste-Croix
La révolte des déesses
Avec leRiredesdéesses, Ananda Devi brosse brosse un tableau sombre et éclatant de l’Inde contemporaine.
C’est une petite fille qui n’aurait pas dû naître et que sa mère, Veena, cache quand elle reçoit des clients; elle s’interdit de l’aimer pour ne pas s’attacher et ne l’a pas nommée. La petite grandit pourtant, entourée par les prostituées de la Ruelle, quartier sordide d’une ville pauvre du Nord de l’Inde, dont Ananda Devi brosse des portraits sensibles. Et puisqu’elle n’a pas de nom, elle se baptise elle-même: ce sera Chinti, la fourmi. Comme ces insectes, elle fait son nid derrière une cloison. Gracieuse et lumineuse, elle conquiert aussi le cœur de Sadhana, narratrice du Riredesdéesses: une hijra, femme née dans un corps d’homme et devenue guru de sa communauté traditionnelle.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : HEGL
Apaiser les tempêtes maternelles
Vingt ans après sa publication aux Etats-Unis, «Apaisernostempêtes» de Jean Hegland sort en français. La romancière explore avec finesse la féminité, la sororité et l’amitié
Il a fallu attendre vingt ans depuis sa sortie aux Etats-Unis pour découvrir le livre phare de Jean Hegland en français en 2017. Dans la forêt – roman racontant la vie et la survie de deux sœurs adolescentes livrées à elles-mêmes en pleine forêt de séquoias au nord de la Californie – est devenu un best-seller, traduit en quelque 70 langues, adapté au cinéma et en bande dessinée. Ce succès échelonné dans le temps a complètement éclipsé les trois autres ouvrages de l’écrivaine américaine: un essai anthropologique sur la grossesse (The Life Within, 1991) et deux romans (Windfalls, 2004 et Still Time, 2015). En 2019, Jean Hegland a été accueillie par la Fondation Jan Michalski à Montricher pour l’écriture de son quatrième roman. Invitée également deux fois en marge et dans le cadre du festival L’Amérique à Oron, la revoici en Suisse le week-end prochain au Livre sur les quais à Morges.
Fille fugueuse La Californienne y présentera son deuxième roman, traduit donc seize ans après sa publication outre-Atlantique grâce aux Editions Phébus. Windfalls devient Apaisernostempêtes, et, comme Dans la forêt, on retrouve un binôme d’adolescentes au début de cette histoire qui fait à nouveau la part belle à la féminité, la sororité et l’amitié. Mais cette fois-ci, il s’agit d’un roman d’apprentissage sur la maternité, la parentalité et l’éducation, sur ce qu’être mère représente et signifie, particulièrement lorsque la responsabilité d’élever un enfant surgit alors que sa propre vie est encore en pleine mutation intime et en quête professionnelle.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : SALA
Sous l'ombre menaçante d'une catastrophe, la désagrégation de jumelles en conflit. Une sombre dystopie non dénuée d'espoir
Presque vingt ans d’écriture au bord de l’extrême, à s’élancer dans la solitude de cimes peu explorées, à lancer les mots éblouissants et précis comme des piolets dans la roche. Et voilà qu’Emmanuelle P., devenue Emmanuelle S., monte encore plus haut, défaite de sa peau de Pagano, pour laisser pleinement respirer le nom de Salasc, son patronyme de naissance et de renaissance. Qui a suivi des yeux la route de la romancière sait la logique de ces retrouvailles généalogiques, annoncées il y a quatre ans dans son autobiographie Sauf riverains, où elle déterrait ses racines aveyronnaises pour remonter jusqu’au big bang. Les fidèles de son œuvre captivante connaissent aussi son attention aux liens du sang et du cœur qui ligotent et enlacent dans une même étreinte. Tout comme son attachement pointu aux questions environnementales, qu’elle place au centre de ses livres avec une obstination grandissante, propulsée par un attelage parfait d’exigences littéraires et scientifiques.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : M2908DVD
L'autofiction pour dire la vie
La cinéaste québécoise Myriam Verreault signe Kuessipan, sur la vie d’adolescentes autochtones. Entre fictionnel et factuel, autobiographie et romanesque, l’équilibre est aussi vertigineux que rare.
Deux amies inséparables grandissent dans une communauté Innue au nord-est du Québec. En 2017, un rapport d’enquête y met en cause les réserves autochtones dans lesquelles les êtres «ne peuvent pas se développer ni s’émanciper». Il dénonce un système qualifié de «régime d’apartheid» auquel il «serait temps de mettre fin», relevant le manque d’emploi, la consommation de psychotropes, la criminalité, la violence conjugale…
Toutes ces réalités, souvent réduites à de simples statistiques, sont infusées en creux par le tandem au scénario qui réunit Myriam Verreault, cinéaste venue du documentaire, et l’écrivaine Innue Naomi Fontaine, autrice du récit poétique Kuessipan («à toi» ou «à ton tour»), feuilleté d’observations, tranches de vie, ressentis ou réflexions. Pour une réalisation oscillant du documentaire songeur à des tableaux photographiques proches de l’Américain Gergory Crewdson, en passant par le mélodrame intime et social.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : SERR
LoubnaSerraj: loin de l’esprit féodal
Le premier roman de la Marocaine, Prix Orange du livre en Afrique (POLA), est une ode magistrale à la libération des femmes assignées à résidence maritale et à haute marginalisation sociale.
Pendant que se multiplient les cycles de confinement et de déconfinement pour circonscrire les incendies sanitaires qui consument le monde, LoubnaSerraj, romancière marocaine née en 1979 à Khouribga, évoque un autre type de réclusion involontaire dont il faudrait se défaire mais qui perdure. A travers Pourvu qu’il soit de bonne humeur, l’autrice nous plonge dans le Maroc des années quarante et cinquante et met en scène un mariage infernal dans lequel entre, innocente et incrédule, Maya. C’est en 1939, le lendemain de ses 15 ans, que la jeune fille amoureuse de lecture franchit le seuil de la vie conjugale par la porte du dégoût et des coups, car tout commence et se poursuit dans le viol, dans la brutale dépossession de son corps et l’anéantissement de ses sentiments.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : DIEU
"Kerozene", l'essence de l'espèce humaine selon Adeline Dieudonné
Après "La Vraie Vie", immense succès en 2018, Adeline Dieudonné revient avec "Kerozene", un récit choral nous mettant en présence d'une quinzaine de personnages tous plus cabossés les uns que les autres, réunis par les hasards de la vie dans une station-service des Ardennes belges.
A quoi carbure Adeline Dieudonné? Trois ans après "La Vraie Vie", premier roman coup-de-poing au succès fulgurant, la romancière belge embraye sur de nouveaux personnages aux destins accidentés. Réunis par les hasards de l'existence dans une station-service des Ardennes, les quinze protagonistes de ce récit fragmenté ont tous un crime à expier et un traumatisme à purger.
Un casting éclaté Dans "Kerozene", roman choral aux allures de faux polar, les histoires des unes et des autres se frôlent, s'entrecroisent parfois, comme autant de pièces d'un puzzle aux motifs tapageurs. Il y a Chelly, prof de pole-dance et influenceuse, dont le caractère prédateur prend appui sur son darwinisme néolibéral: "Elle se voyait comme un animal évoluant dans un écosystème soumis à la loi du plus fort."
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sour la cote : AMAD
"J'ai décidé de protéger mes filles"
Elle est la surprise de la dernière sélection du Goncourt 2020. Rencontre, par écrans interposés, avec cette écrivaine camerounaise, militante fervente pour le droit des femmes, en lice avec un roman de combat, «Les Impatientes»
A Douala, c’est la fin des pluies et le début de la saison sèche. Dans cette ville où vit la romancière et militante DjaïliAmadouAmal – avec son troisième époux, lui aussi écrivain –, la poussière se répand, dit-elle, s’excusant d’une petite toux. Nous parlons d’écran à écran, mais cette Camerounaise était il y a peu à Morges au Livre sur les quais: «C’est tellement beau et calme. On s’y sent bien, en paix.»
Depuis, grâce à son roman Les Impatientes, DjaïliAmadouAmal vit une aventure étonnante. «Nous serons peut-être interrompues, j’attends des nouvelles du consulat de France.» Elle qui est arrivée de façon inespérée, seule femme, seule Africaine, seule militante, dans le dernier carré des prétendants au Goncourt, veut s’envoler pour Paris. Le prix devait être proclamé le 10 novembre, il est différé tant que les librairies sont fermées. Qu’importent les restrictions dues à la pandémie, DjaïliAmadouAmal veut venir pour ce prix, pour parler de son livre – déjà Prix Orange en Afrique –, pour appuyer sa participation au Goncourt des lycéens.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque dans l'espace BiblioBD sous la cote : NAHO
Maël Nahon - Autre
Polyamoureux, autistes, hypersensibles, TDS (Travailleurs et Travailleuses du Sexe)… Autant de caractéristiques considérées comme hors norme et encore trop souvent moquées, insultées, rabaissées ou encore ignorées de nos jours. Maël Nahon coche quelque une de ces cases, et puis d’autres aussi. Il sort du cadre étriqué, du modèle qu’on apprend dès tout petit et dans lequel on doit tenir bien serré, quitte à étouffer ou à se sentir malheureux. L’auteur a alors décidé de réunir plusieurs témoignages reçus, pour donner de la visibilité aux personnes LGBTQI+ et à celles et ceux que l’on range encore en vrac dans la catégorie «autre». Les atypiques de la sexualité, du parcours scolaire, du poids, du comportement social, celles et ceux dont on ne parle pas encore assez ou bien souvent avec beaucoup de préjugés. Autre est ainsi composé d’une dizaine d’histoires, toutes vraies et tirées des témoignages que Maël Nahon a recueillis sur plusieurs années. On y voit de la discrimination physique et morale, des environnements familiaux toxiques et de la détresse difficile à verbaliser.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque sous la cote : MCDA
"Betty", une ode à la puissance féminine
Tiffany McDaniel signe un roman bouleversant dont l’héroïne, une jeune métisse confrontée à des drames familiaux et au racisme, puise douceur et force dans la culture cherokee. Le Prix du roman Fnac vient de lui être décerné.
«Ce livre est à la fois une danse, un chant et un éclat de lune, mais par-dessus tout, l’histoire qu’il raconte est, et restera à jamais, celle de la Petite Indienne.» C’est ainsi que l’écrivaine, poétesse et plasticienne Tiffany McDaniel rend hommage à sa propre mère en dédicace de son deuxième roman, Betty. Elle dit avoir puisé son inspiration dans la vie de sa famille sur plusieurs générations, dont une ascendance cherokee. Disons-le d’emblée: ce livre qui paraît simultanément aux Etats-Unis et en Europe est un bijou de 700 pages par sa qualité narrative et stylistique, serti de perles amérindiennes, de fantaisie et de poésie qui font contrepoids à la noirceur, à la violence, au racisme et au sexisme.
Disponible à la bibliothèque-médiathèque dans l'espace BiblioDVD sous la cote : M2576DVD
Connaissez-vous Ruth Bader Ginsburg alias « Notorious RBG » ? Aux États-Unis, cette juge octogénaire jouit d’une célébrité légendaire. Deuxième femme de l’histoire à avoir intégré la Cour suprême, en 1993, elle est récemment devenue une icône progressiste auprès de jeunes Américains traumatisés par la présidence Trump. Ses nombreux détracteurs la surnomment « la zombie ». Il y a un peu des deux Simone, Veil et Beauvoir, chez cette vaillante petite femme portant lunettes et chignon. À la voir soulever de la fonte entre deux dossiers, on comprend pourquoi le très populaire show télé Saturday night live la croque en impitoyable distributrice de scuds vitriolés. Sans que cela diminue le mérite des deux réalisatrices, Ginsburg est donc un sujet en or.